Auteur: Mathieu Bédard
Source. www.contrepoints.org
Mise en ligne: 30 juillet 2013
L’expression "libéral-conservateur" gagne en popularité. Que se cache-t-il derrière ce mariage invraisemblable ?
Si le libéralisme "classique" est une philosophie politique dont
découlent des positions telles que la propriété privée, l’opposition à
l’impôt, et la régulation des entreprises par les phénomènes de marché
plutôt que par l’intervention ex supra de l’État, elle défend
aussi des idées comme la libre circulation des hommes, le
libre-échange, la liberté d’expression, la liberté religieuse, la
pluralité et la diversité, la responsabilité face à ses actes, la paix
et la démocratie au sens du respect des droits individuels et de la
limitation du pouvoir politique. Certains sous-groupes d’idées parmi
celles-ci sont défendus par différents groupes politiques ; on peut en
retrouver certains éléments présents sur tout le spectre politique. En
revanche, aucun parti politique, ni aucune "position" sur l’axe
politique, n’ont un programme entièrement libéral, et c’est en partie
pourquoi il est impossible de répondre à la question "le libéralisme
est-il de droite ou de gauche ?"
Le conservatisme [1]
lui, défend des idées de stabilité dans les valeurs considérées (à tort
ou à raison) comme traditionnelles, et une certaine stase culturelle et
religieuse, accompagnée d’un franc nationalisme ; des idées
principalement défendues en France par l’extrême-droite. La façon dont
sont généralement jumelés libéralisme et conservatisme varient. Tantôt
elle limite le libéralisme à une doctrine économico-économique, et
remplit les cases restantes avec le conservatisme, tantôt elle ne fait
que parasiter le nom pour s’approprier une légitimité intellectuelle.
Si de plus en plus de gens se définissent comme
"libéraux-conservateurs", la grande majorité sont en fait des
conservateurs qui ont été éclairés sur l’absence totale d’une doctrine
économique "de droite" et séduit par la cohérence et la justice du
libéralisme économique, sans aller jusqu’à accepter ses applications
allant au-delà des questions purement économiques. C’est ainsi qu’on
voit énormément de "libéraux" autoproclamés défendre des idées allant
contre le libre-échange, contre l’immigration, contre la pluralité et la
diversité des points de vue et des styles de vie, et souvent se faire
les chantres de thèses à la limite (ou au-delà) du racisme. Autant de
points de vue et d’idées qui n’ont strictement rien à voir avec le
libéralisme. Ce qu’il reste du libéralisme dans le
"libéralisme-conservateur" ou le "conservatisme-libéral" ou autre n'est
pas clair. Du point de vue libéral, les "libéraux-conservateurs"
auraient probablement mieux fait de se trouver un terme équivalent au fiscally conservative des Américains, qui signifie plus ou moins être en faveur du marché, ou du moins opposé aux fiscalités excessives.
Pourquoi cet engouement pour le terme libéral alors ? En partie par
parasitisme intellectuel ; le libéralisme jouit d’une légitimité
intellectuelle et humaine reconnue et acclamée, à tel point que même les
communistes contemporains ne peuvent prétendre ouvertement être contre
les droits individuels, sous peine de se décrédibiliser complètement. En
effet, qui au 21e siècle pourrait se dire contre la liberté ? Se
réclamer d’une philosophie cohérente et complète est un atout indéniable
pour une vision de la société qui est autrement inavouable
et indéfendable. C’est l’équivalent du "je ne suis pas raciste mais"
précédant une proposition raciste. Le terme libéral vient désextrêmiser
le terme conservateur sans contraindre le conservateur à quoi que ce
soit. Et ce, ironiquement, même si le terme libéral véhicule lui aussi, à
tort, une consonance extrémiste en France.
Une autre explication pourrait être que les doctrines marginales
attirent des marginaux. Le fait que le libéralisme soit constamment
dénigré, caricaturé et calomnié en fait une pensée marginale,
franchement incompatible avec la vision dominante naïve face au
fonctionnement de l’État. L’idée est donc que les personnes elles-mêmes
"marginales" sont naturellement prédisposées à être attirées vers les
doctrines qui contredisent l’hégémonie intellectuelle. En revanche il
serait faux de dire que les libéraux sont systématiquement des
marginaux, la caractéristique dominante chez ceux-ci semble être d’avoir
été séduit par la cohérence, l’humanisme et la justice que propose le
libéralisme.
Une troisième explication est tout simplement que les libéraux ont
mal expliqué leurs idées. Peut-être ont-ils trop insisté sur l’analyse
économique, peut-être ne sont-ils pas allés aux fondements éthiques de
ce qu’est le libéralisme. Peut-être est-il impossible de communiquer sur
les fondements éthiques profonds du libéralisme tout en étant
accessible et intéressant. Cela pose la question de savoir si le
libéralisme est une philosophie trop intellectuelle là où beaucoup
d’autres courants politiques cèdent plus facilement aux émotions et au
populisme.
Si certains "véritables" libéraux versés dans l’action politique (et
il reste à prouver qu’il y a de véritables libéraux dans l’action
politique) souhaitent collaborer sur certains dossiers précis avec les
éléments les plus fréquentables de la droite (tout comme ils pourraient
vouloir collaborer avec les éléments les plus fréquentables à gauche),
ils feraient bien de reconnaître les incohérences et les
incompatibilités qu’il y a entre les deux traditions intellectuelles.
Négliger un socle de plusieurs siècles de pensée libérale affaiblirait
notre légitimité et notre cohérence intellectuelle, nous
marginaliserait, et entretiendrait les mauvaises idées qui circulent à
propos du libéralisme.
Note :
[1] L'article traite du "conservatisme" tel qu'il est
défendu et revendiqué aujourd'hui en France, et non tel qu'on peut le
comprendre dans son acception philosophique, notamment au travers des
auteurs anglo-saxons.
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