Auteur: Pierre Desrochers
Source: www.quebecoislibre.org
Mise en ligne QL: 9 juin 2001
Mise en ligne Contrario: 19 avril 2013
Résumé : Frédéric Bastiat, économiste français et député des Landes, est né en 1801 et est mort en 1850. Sa pensée, son œuvre et ses sophismes insurpassables auront une influence majeure sur le libéralisme en général et sur Ludwig von Mises de l’Ecole Autrichienne d’Economie en particulier.
À en croire l'intelligentsia francophone sévissant au Devoir, au Monde Diplomatique et dans la plupart des facultés de sciences sociales, le libéralisme économique ne serait qu'une théorie digne de barbares anglo-saxons. Le problème toutefois, c'est qu'au 19e siècle, la théorie économique française est libérale et beaucoup plus optimiste que la pensée économique anglo-saxonne.
Les noms de certains auteurs, tels Jacques Turgot (1727-1781) et Jean-Baptiste Say (1767-1832), sont peut-être familiers aux étudiants ayant suivi un cours d'histoire de la pensée économique (du moins si l'on s'attarde encore au sujet dans les principaux départements d'économique québécois). La plupart d'entre eux, tels Charles Dunoyer (1786-1862), Joseph Garnier (1813-1881) et Jean-Gustave Courcelle-Seneuil (1813-1892), sont toutefois inconnus hors d'un petit cercle de spécialistes.
Tel n'est toutefois pas le cas de Frédéric Bastiat (1801-1850), un auteur de cette période dont la popularité chez les libéraux contemporains, tant dans le monde francophone qu'anglophone, est remarquable. Bastiat étant un auteur qu'il vaut la peine de découvrir, j'utiliserai aujourd'hui le prétexte de son 200ième anniversaire de naissance (NDLR : Aujourd’hui le 212e !) pour lui consacrer cette chronique dans l'espoir que certains lecteurs voudront en apprendre davantage à son sujet.
Sa vie et son engagement
Frédéric Bastiat naît le 30 juin 1801 dans la ville de Bayonne (sud-ouest de la France). Il est l'enfant unique d'un commerçant aisé, mais devient orphelin à l'âge de 9 ans et est élevé par son grand-père et sa tante dans le village de Mugron. Bien qu'il excelle en poésie, belles-lettres et langues, il rentre à Bayonne à la fin de son adolescence pour apprendre les rudiments du commerce, de la comptabilité et de la gestion dans l'entreprise de son oncle. La pratique du commerce l'ennuie rapidement, mais la théorie économique le fascine et Bastiat plonge rapidement dans la lecture des traités d'économique d'Adam Smith et de Jean-Baptiste Say.
La mort de son grand-père en 1825 lui laisse quelques propriétés à Mugron. Bastiat retourne donc en milieu rural et s'essaie pour un temps à l'agriculture, mais sans trop de succès. Son retour dans les Landes marque toutefois le début d'une amitié profonde avec l'un de ses voisins, Félix Coudroy, qui lui fait partager son intérêt pour les questions religieuses et philosophiques. C'est également en 1825 que Bastiat commence à prôner la libéralisation du commerce, une cause qu'il défendra pour le reste de sa vie alors qu'il se convertit complètement au libéralisme.
C'est en 1829 qu'il énonce pour la première fois l'essentiel de sa philosophie: « L'intérêt personnel [...] tend à la perfectibilité des individus et, par conséquent, des masses qui ne se composent que d'individus. Vainement dira-t-on que l'intérêt d'un homme est en opposition avec celui d'un autre; selon moi, c'est une erreur grave et antisociale. »
Bastiat a alors maille à partir avec certains fonctionnaires, ce qui confirme sa méfiance de l'arbitraire politique et sa préférence pour la liberté du commerce et de la concurrence. Il lance au cours de la décennie suivante diverses entreprises qui connaissent plus ou moins de succès, notamment une école privée et payante, une compagnie d'assurances et un commerce d'exportation de vins. Il continue toutefois à lire abondamment dans le domaine de l'économie politique et commence à rédiger certains rapports et mémoires sur le commerce et la vie économique dans sa région.
Le provincial timide connaît toutefois la notoriété en octobre 1844 avec la publication dans le Journal des économistes de son article: « De l’influence des tarifs français et anglais sur l’avenir des deux peuples ». Bastiat quitte alors sa région pour Paris et produit un volume considérable d'écrits lors des cinq années suivantes. Il coordonne alors ses efforts avec ceux du libre-échangiste britannique Richard Cobden et fonde en juillet 1846 l’Association pour la liberté des échanges.
Craignant la montée des idées socialistes, Bastiat est élu représentant des Landes en 1848 à l'Assemblée constituante où il promeut la liberté du commerce, le pacifisme, l'abolition de l'esclavage, de la peine de mort, des interdictions contre les coalitions ouvrières et des politiques coloniales jusqu'à quelques mois avant sa mort à Rome en 1850 des suites d'une longue maladie du larynx et de l'œsophage.
Son œuvre
Bastiat commence à la fin de sa vie la rédaction d'un traité d'économie politique, Les harmonies économique, qui demeurera inachevé. Ce sont toutefois ses écrits polémiques, notamment ses Pamphlets et ses Sophismes économiques, écrits en réplique aux théoriciens socialistes de son époque tels que Fourier et Proudhon, qui lui assurent aujourd'hui sa notoriété. Son message est fondamentalement optimiste. Il postule et démontre que le libéralisme conduit à une société plus prospère, plus progressive, plus juste et plus heureuse. Dans son optique, désarmement douanier et militaire doivent aller de pair pour l'intérêt de tous et il s'oppose vigoureusement à l'impérialisme qu'il ne voit pas comme le prolongement du capitalisme, mais plutôt comme son ennemi.
L'œuvre de Bastiat s'articule sur la défense du consommateur – car après tout, nous sommes tous des consommateurs! Il s'oppose à toutes les mesures « d'encouragement » et de protection des producteurs, car elles se font toujours au détriment de la majorité des individus. La technique de Bastiat dans ses écrits polémiques est de pousser les sophismes de ses adversaires à la limite pour en démontrer l'absurdité.
Ses tracts dénonçant les mesures visant la création d'emplois sont un modèle du genre. Il crée ainsi le personnage imaginaire de Jacques Bonhomme, un charpentier voulant améliorer le sort de ses confrères par l'utilisation de haches inefficaces (obtuses), et lui fait dire: « Faites une loi qui porte: Nul ne pourra se servir que de poutres et de solives produits de haches obtuses. À l'instant voici ce qui va arriver. Là où nous donnons cent coups de haches, nous en donnerons trois cents. Ce que nous faisons en une heure en exigera trois. Quel encouragement pour le travail! Apprentis, compagnons et maîtres, nous n'y pourrons plus suffire. Nous serons recherchés, partant bien payés. »
Outre ses Sophismes économiques et ses Harmonies économiques, les textes les plus importants de Bastiat sont « La Loi » et « Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas ». Ce dernier texte, rédigé à la fin de sa vie, est un modèle du genre dont le message devrait être compris de tous les citoyens : « Dans la sphère économique, un acte, une habitude, une institution, une loi n'engendrent pas seulement un effet, mais une série d'effets. De ces effets, le premier seul est immédiat; il se manifeste simultanément avec sa cause, on le voit. Les autres ne se déroulent que successivement, on ne les voit pas; heureux si on les prévoit. Entre un mauvais et un bon Économiste, voici toute la différence: l'un s'en tient à l'effet visible; l'autre tient compte et de l'effet qu'on voit et de ceux qu'il faut prévoir. Mais cette différence est énorme, car il arrive presque toujours que, lorsque la conséquence immédiate est favorable, les conséquences ultérieures sont funestes, et vice versa. – D'où il suit que le mauvais Économiste poursuit un petit bien actuel qui sera suivi d'un grand mal à venir, tandis que le vrai économiste poursuit un grand bien à venir, au risque d'une petit mal actuel. »
Bastiat est un auteur qu'il vaut la peine de découvrir et dont la pertinence, malheureusement, est plus que jamais évidente.
Lien : http://bastiat.org/
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire