jeudi 12 décembre 2013

« Un spectre hante l’Europe » : la déflation

Auteur : Jean-Yves Naudet
Sources : www.contrepoints.org et Monnaie & Finance
Mise en ligne : 12 décembre 2013

En prétendant combattre la déflation, ne crée-t-on pas des bulles spéculatives et l’inflation de demain ?


Marx et Engels commençaient le Manifeste communiste, publié en 1848, en affirmant : « Un spectre hante l’Europe : le spectre du communisme ». À lire les analyses des médias aujourd’hui, le nouveau spectre qui fait peur à tout le monde, ce serait la déflation. Quasi-unanimité des journaux, des dirigeants de Banques centrales, des politiques et des experts réels ou auto-proclamés : la déflation, voilà l’ennemi, qu’il faut combattre par la création monétaire. Est-ce si sûr ? Est-ce si grave ? Est-ce qu’on n’est pas en train de se tromper de cible et, en prétendant combattre la déflation, ne crée-t-on pas des bulles spéculatives et l’inflation de demain ?

Où est la déflation, quand les prix progressent ?

La déflation est-elle à nos portes ? À en croire notre confrère Le Monde, cela ne fait pas de doutes : « Gare au piège déflationniste », « Déflation, l’Europe se divise ». Heureusement « La BCE prête à tout pour lutter contre le risque de déflation ». Mais Les Échos ne sont pas en reste : « Le spectre de la déflation resurgit dans l’hexagone. Le recul de l’inflation fait peser une menace ». Bref, la déflation, voilà l’ennemi, et l’ennemi n’est même plus à nos portes, il est dans la place.

Voyons d’abord les chiffres. Le dernier communiqué de l’OCDE en matière d’inflation est daté du 6 novembre. On y apprend que, pour les douze mois entre août 2012 et août 2013, la hausse des prix a été pour l’ensemble de l’OCDE de 1,5%. Ce n’est pas exactement une déflation, qui, elle, se traduirait par un recul du niveau général des prix. Mais la déflation est-elle en Europe ? On observe 1,3% dans l’Union européenne (les 28) et 1,1% dans la zone euro (les 17). Pour douze mois se terminant en octobre, la zone euro annonce 0,7%. En France même, très touchée selon nos confrères, la hausse des prix a été de 1,0%, selon les indices harmonisés et 0,6% selon le dernier indice INSEE.

La modération des prix est une bonne nouvelle

On admettra que c’est une hausse faible, modérée, mais nous aurions tendance à dire que c’est une bonne nouvelle. C’est une bonne nouvelle pour le pouvoir d’achat : à un moment où il est en souffrance avec la baisse des revenus, il échappe à l’érosion due à la hausse des prix. Un plein d’essence un peu moins cher, c’est toujours ça de pris. C’est aussi une bonne nouvelle pour la compétitivité de nos pays : dans le cadre de la mondialisation et d’une concurrence internationale sévère, mieux vaut avoir des prix relativement sages. Mais de façon plus générale, c’est une bonne nouvelle pour la santé de l’économie, parce que le calcul économique est plus rigoureux avec une monnaie stable : entreprises, épargnants, investisseurs ne se sont pas trompés par les faux prix liés à la spéculation, qui aboutissent à rentabiliser des activités improductives. L’inflation c’est la victoire de la cigale sur la fourmi. Le calcul économique des entreprises et des ménages a besoin de s’appuyer sur des prix relatifs fiables, significatifs, donnant une information sincère sur la vraie valeur de marché.

Par contraste l’inflation crée désordres et gaspillages, et ruine les bases mêmes de la société. De la chute de Rome à la République de Weimar en passant par la Révolution Française, les exemples historiques des dangers mortels de l’inflation, aussi bien pour l’économie que pour la politique, ne sont que trop nombreux.

Mais que disent les angoissés de la déflation ? Que c’est la pire des maladies. Ils ignorent donc les chaos inflationnistes, ils déplorent que les salaires ne progressent pas assez vite. Ils en oublient qu’en inflation les salariés sont payés avec de la monnaie de singe, et que des coûts plus élevés ruinent la compétitivité.

Oui, l’économie va mal…

Pour étayer leur argumentation, les angoissés de la déflation mettent en avant la situation des pays du sud de l’Europe. Ces pays ont des déficits extérieurs et des coûts de production trop élevés. S’ils avaient chacun leur monnaie, cette situation se traduirait par une perte de valeur de leur monnaie et une dévaluation. Cette adaptation par les taux de change n’aurait sans doute qu’un effet éphémère en l’absence de changements structurels, mais elle permettrait un sursis qui pourrait être exploité pour de vraies réformes.

Mais avec la zone euro, plus de dévaluation possible puisque les monnaies nationales ont disparu, donc plus d’ajustement par les taux de change. Alors, la seule adaptation possible est par les coûts de production y compris salariaux. Les excédents allemands s’accompagnent d’une relative stagnation des salaires en Allemagne, et c’est ce qui met cette économie sur le chemin du redressement.

Oui, mais c’est précisément ce qui fait réagir ceux qui dénoncent les dangers de la déflation. Comme l’économie va mal, il faudrait au contraire augmenter les salaires, distribuer du pouvoir d’achat, pour relancer la croissance et l’emploi. On en revient ainsi à l’éternelle erreur keynésienne : dépenser pour sortir de la crise. Mais qui peut croire que le chômage massif disparaît en gonflant des revenus factices ? Ce tour d’équilibriste ne peut se faire qu’en injectant de la monnaie dans le corps économique. Mais n’est-ce pas ce qui se fait déjà, et pour quel résultat ? En Europe comme aux États-Unis, les pays croulent déjà sous la création monétaire et le taux de base des Banques centrales est proche de zéro. Veut-on un taux d’intérêt négatif ? Le laxisme monétaire n’a en rien empêché la récession et le même Monde qui crie contre la déflation titrait il y a peu que les relances monétaires n’avaient servi à rien. Est-ce que doubler la dose du drogué peut le guérir de son addiction ?

Ce n’est pas le laxisme monétaire qui la guérira

Ceux qui estiment que nous sommes en déflation et qui proposent une création monétaire accrue, sont les mêmes que ceux qui ont proposé et obtenu en 2009, face à la récession, une relance budgétaire. Cela a relancé à coup sûr quelque chose : les dettes souveraines et on a provoqué la crise de l’endettement public. Les keynésiens ont été pris au piège de la relance budgétaire, ils se rabattent maintenant sur une relance monétaire. Mais ils repassent toujours le même plat. Tout d’abord, ils éliminent leurs responsabilités dans la crise engendrée par les déficits budgétaires, en prétendant, comme l’ineffable Paul Krugman, que c’est la politique de réduction des déficits qui a créé la stagnation : on ne serait pas allé assez loin dans la relance budgétaire, donc on a aggravé la récession et créé la déflation.

Ensuite, ils soutiennent que le financement des déficits par la création monétaire est une bonne chose et ils applaudissent aux politiques monétaires « non conventionnelles » – c’est-à-dire sans limite – menées par la Fed, imitée maintenant par la BCE sous l’impulsion de Mario Draghi. Comme l’expansion monétaire sert surtout à faire crédit aux États, directement ou indirectement, le tour de magie est opéré : on fait d’une pierre deux coups, on assouplit la gestion des finances publiques tout en distribuant du pouvoir d’achat pour tous.

Certes, ces savants nous expliquent que la drogue monétaire n’est pas dangereuse. La preuve : les bilans des banques centrales explosent et les prix restent sages. Oui, mais l’inflation peut revenir brutalement et, en attendant, elle s’est déversée dans les pays émergents : plus de 10% d’inflation en Inde ou en Argentine, plus de 8% en Indonésie, autour de 6% au Brésil, en Russie ou en Afrique du sud. D’autre part, ces politiques monétaires laxistes provoquent des bulles spéculatives, semblables à celles qu’on a vues dans l’immobilier ou sur les places boursières et qu’on retrouvera ailleurs demain. Étrange politique que celle qui consiste à critiquer la « spéculation » qui se produit sur les marchés tout en fournissant l’aliment monétaire qui rend cette spéculation possible !

Si la déflation est actuellement un fantasme, le spectre véritable, c’est la récession et le chômage. Il n’a pas de cause monétaire. Dans une interview au Monde du 16 novembre, Michael Heise, économiste chez Allianz à Munich affirmait que « la reprise doit se faire grâce au redémarrage de l’économie réelle, pas grâce aux liquidités de la Fed ou de la BCE ». La baisse des salaires est une remise à niveau en Europe du sud, qui contribuera à cette reprise. Là où les rigidités sont trop grandes, comme en France, l’ajustement ne se fera pas. Au fond, tous ceux qui affirment craindre la déflation sont ceux qui refusent les réformes réelles de l’État, des prélèvements excessifs, des rigidités règlementaires, pour nous proposer l’illusion monétaire. Ces étranges médecins nous offrent un peu plus de drogue pour mieux fuir le réel.


mardi 3 décembre 2013

The Ascent of Money – Niall Ferguson

Chaque semaine, Contrario vous recommande un ouvrage d’un auteur libéral. Cette fois-ci, c’est un historien écossais contemporain qui est à l’honneur.

The Ascent of Money par Niall Ferguson


Cet excellent ouvrage de l’historien britannique Niall Ferguson publié en novembre 2008 traite non pas seulement de l’histoire de la monnaie, mais bien de l’histoire de la finance en général, de la préhistoire à nos jours. Même s’il adopte des vues controversées et des affirmations questionnables, il a le grand mérite de ne pas être une lecture aride qui comme certains manuels d’histoire peuvent l’être.

Les crises financières et les scandales financiers arrivent bien assez fréquemment pour faire paraître la finance comme une source d’appauvrissement plutôt que d’enrichissement. Pourtant, malgré toute la règlementation et l’interférence étatique, les marchés financiers créent bel et bien de la richesse. Selon Ferguson, l’innovation financière a été un facteur indispensable dans l’avancement de l’humain du statut de subsistance précaire d’il y a quelques siècles au niveau de vie confortable dont nous jouissons présentement dans les pays développés. En fait, Ferguson avance que la finance est une composante primordiale du développement et de l’enrichissement des nations : la clé de voute de la prospérité. La pauvreté d’une nation ne résulte pas de la présence des institutions financières, mais bien de leur absence. Ce n’est que lorsque les petits entrepreneurs ont accès à une source de financement qu’ils peuvent s’évader de l’emprise des usuriers et devenir les maîtres de leur destin, favorisant le développement de leur société.

Le blog de Niall Ferguson:

Une vidéo de 4 heures commentée par Niall Ferguson a été réalisée par Channel 4 à partir du livre : http://www.youtube.com/watch?v=4Xx_5PuLIzc  

Détruisons pour progresser !

Auteur : David Rosseels
Mise en ligne : 3 décembre 2013

La vie d’un produit n’est pas linéaire mais connait successivement les étapes suivantes au sein d’un cycle (‘cycle de vie du produit’):
-         Une phase de développement
-         Une phase de lancement
-         Une phase de croissance
-         Une phase de maturité
-         Une phase de déclin


La longueur de chacune de ces phases dépend du type de produit et du secteur / marché au sein duquel il évolue. Un produit pharmaceutique pourra ainsi avoir un cycle de vie infiniment plus long qu’un produit informatique. La totalité des produits est néanmoins vouée à disparaitre à la fin de leur phase de déclin. La rentabilité d’une entreprise est assurée en alternant le développement de différents produits afin de faire correspondre la phase de déclin de certains de ses produits à la phase de croissance d’autres de ses produits.

La théorie de la ‘destruction créatrice’, pensée par l'économiste Joseph Schumpeter, est liée à ce concept de cycle de vie du produit. Selon ce concept, les produits les moins compétitifs / innovants sont voués à disparaitre et à être remplacés par des produits plus compétitifs / innovants. L’innovation est alors considérée comme un moteur essentiel de la croissance à long-terme. L’innovation peut d’ailleurs être présente sous différentes formes, tant au niveau de la technologie des produits (i.e. les appareils photos Polaroid, les cassettes vidéo VHS ou les téléphones mobiles Nokia remplacés par des technologies plus avancées), de la gestion des stocks, du marketing ou de la gestion des ressources humaines (i.e. les librairies traditionnelles remplacées par le distributeur Amazon) par exemple.

L’octroi de subsides / aides diverses vient perturber le cycle de vie des produits et la théorie de la ‘destruction créatrice’. Ces subsides permettent de prolonger de manière artificielle la phase de maturité de certains produits et de retarder leur phase de déclin. Les deux conséquences les plus importantes d'un point de vue économique sont les suivantes :
-         Les sociétés bénéficiant desdits subsides / aides diverses ne sont pas incitées à innover ou du moins à le faire rapidement. Le prolongement de la phase de maturité de leurs produits leur assure une marge confortable qui se maintiendra tant que les subsides / aides diverses seront octroyés.
-         Les sociétés proposant des nouveaux produits plus compétitifs / innovants ne peuvent imposer lesdits produits sur le marché car elles sont désavantagées par rapport aux sociétés bénéficient des subsides / aides diverses.

Par conséquent, l’octroi de subsides / aides diverses permet d’éviter des licenciements à court terme mais ne privilégie ni l’innovation, ni la croissance et l’emploi sur le long terme. Les politiciens, ayant des mandats assez courts, auront malheureusement toujours tendance à privilégier des solutions sur le court terme au préjudice de l’intérêt général. Le secteur de l’acier et du verre en Belgique en sont les meilleurs exemples !

Lien vers le blog de l’auteur :


lundi 25 novembre 2013

Où mène le socialisme. Journal d’un ouvrier – Eugen Richter (1838-1906)

Chaque semaine, Contrario vous recommande un ouvrage tiré de la grande bibliothèque du libéralisme.

Où mène le socialisme. Journal d’un ouvrier – Eugen Richter (1838-1906) - traduction française de 1892 par P. Villard.



Etait-il possible un quart de siècle avant la révolution bolchevique de 1917 de deviner exactement où elle mènerait? Pouvait-on, en lisant les textes arides du programme d'un parti social-démocrate, prévoir et décrire sous forme romanesque, dans les menus détails de la vie quotidienne, les conséquences du socialisme, sa dégénérescence et sa chute?
Il s'avère que c'était possible. Cela a été réalisé en 1891 par le politicien allemand Eugen Richter.

En imaginant dans son récit, que la révolution avait vaincu en Allemagne au début du 20e siècle, il avait prévu avec une perspicacité époustouflante presque tous les charmes du socialisme: bureaucratisation et militarisation de la société, domination du parti, asservissement des travailleurs, surtout des paysans, perte d'intérêt pour le travail, irresponsabilité généralisée, basse qualité des produits, malfaçons et vols aux entreprises, gaspillage, déficits, pénurie, rationnement, marché noir, népotisme, pots-de-vin, crise de logement, émigration de masse, frontières sans issue, presse à un seul journal, délation, dislocation de la famille, assujettissement de la femme, cauchemar des cantines d'Etat, humiliation des consommateurs, et même l'impolitesse des vendeuses, etc.

Tout cela ne sont donc pas des "déformations" du socialisme, nullement des effets des conditions ou défauts russes, mais les plus normales, prévisibles jusqu'aux petits détails, conséquences des principes du socialisme et de lui seul!

Le livre est consultable et téléchargeable gratuitement et légalement au bout du lien suivant : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5525360m.r=.langFR

mercredi 20 novembre 2013

Joseph Stiglitz : un prix Nobel au service de l’idéologie keynésienne

Auteur : Yann Henry
Mise en ligne : 20 novembre 2013

Joseph Stiglitz profite de manière éhontée du prestige lié à son prix pour truster les médias et peser dans le débat public sur des sujets sans rapport avec son expertise.


Friedrich Hayek a obtenu le prix Nobel d’économie en 1974. Lors du discours au banquet de remise des prix Nobel, le 10 décembre de cette même année, il se montra prudent : « je dois confesser que si on m’avait consulté sur la question d’établir un prix Nobel d’économie, je me serais exprimé fermement contre ». Il considérait entre autre « qu’un prix Nobel conférerait à un individu une autorité qu’en économie nul homme ne devrait posséder. »

D’autres prix Nobel n’ont pas la même modestie ni la même retenue. Joseph Stiglitz fut nobélisé en 2001 en compagnie de George Akerlof et Michael Spence pour leurs travaux sur les marchés avec asymétrie d’information. Le moins que l’on puisse écrire est que Stiglitz ne manque pas une occasion de donner son avis, sur des sujets n’ayant au mieux qu’un lointain rapport avec son prix Nobel. Il profite de manière éhontée du prestige lié à son prix pour truster les médias et peser dans le débat public. Cet entretien [1] accordé à La Tribune, dans lequel il exprime des avis tranchés et non argumentés sur une grande variété de sujets, en est une caricature frappante.

Les raisons de la crise actuelle ? Il pointe notamment la régulation financière et la prise de risque excessive de banques toujours « too big to fail » [2]. Quand Stiglitz incrimine la réglementation, il faut bien sûr comprendre que, selon lui, il n’y en a pas assez. Or, comme le démontre Vincent Benard, la régulation financière étatique est condamnée à échouer. Les régulations ne tiennent non seulement pas leurs promesses de stabilisation mais ont en plus de nombreux effets pervers. L’interventionnisme public est à l’origine de la formation de la bulle immobilière. La création de la Fed a débouché sur une instabilité bancaire plus élevée. Les accords de Bâle ont renforcé le risque systémique au lieu de le diminuer. Ils ont en outre incité les banques à acheter massivement de la dette souveraine ou à préférer les prêts immobiliers aux prêts aux entreprises, ce qui les a exposées aux crises des subprimes et de la dette, tout en compliquant le financement de l’économie.

Quant aux banques « too big to fail », pourquoi ne pas les laisser faire faillite ? En considérant qu’au-delà d’une certaine taille les établissements seraient systématiquement sauvés, les autorités n’ont-elles justement pas encouragé les comportements risqués ? Alourdir les réglementations coûte certes très cher aux grandes banques, mais pour les plus petits acteurs ce peut être létal (sans compter le fait que cela constitue une énorme barrière à l’entrée pour de nouveaux concurrents potentiels). Ainsi la banque privée suisse Frey, « financièrement saine », annonçait récemment mettre fin à ses activités. Markus A.Frey, président du conseil d’administration expliquait cette décision par les « conditions de marché de plus en plus difficiles, des règles prudentielles de plus en plus lourdes pour de petits établissements, ainsi qu’à cause du conflit fiscal aux États-Unis » en constatant qu’« au cours des derniers mois […] les coûts se sont tellement aggravés qu’ils ne sont plus supportables pour une petite banque privée. » Le nombre de banques en Suisse a ainsi été divisé par deux (de 625 à 312) ente 1990 et 2011.

Stiglitz poursuit par l’inévitable touche écologique : « l’économie de marché n’a toujours pas pris conscience de l’environnement. Nous consommons plus de ressources naturelles que ce que nous avons. » Nous consommerions donc des ressources que nous n’avons pas. Sans doute sont-elles apportées en soucoupe volante par des extra-terrestres…

Après un classique couplet sur les inégalités (se basant sur des indicateurs largement discutables), Stiglitz délivre son remède pour sortir l’économie européenne de l’ornière. La solution est bien évidemment keynésienne : « il faut des politiques de croissance et non des politiques d’austérité, comme c’est le cas aujourd’hui. » Stiglitz dresse là une classique mais factice opposition entre croissance et austérité, tout en affirmant implicitement que nous sommes actuellement en période d’austérité. Peu importe que le niveau des dépenses publiques atteigne un record (49,9% du PIB en 2012 pour l’Union européenne et 56,8% pour la France). Comme nous l’avons déjà vu, les seuls à supporter l’austérité sont les citoyens et non les États. Stiglitz enfonce le clou avec cette sentence définitive : « aucune économie n’est jamais revenue à la prospérité avec des mesures d’austérité. » On peine à le croire mais le prix Nobel l’a bien écrit : ça n’est jamais arrivé. Évidemment, ces propos ne sont pas passés inaperçus et sont du pain béni pour les partisans du laxisme budgétaire, comme Arnaud Montebourg, qui peuvent désormais citer le prix Nobel avec l’autorité qui y est liée. Joseph Stiglitz n’a sans doute jamais entendu parler de la Suède. Au bord de l’asphyxie financière au début des années 1990, le gouvernement suédois a réduit les dépenses publiques de près de 16 points de pourcentage de PIB entre 1993 et 2000 (la dette publique tombant de 72,5% en 1994 à 53% en 2000), ce qui permit un excédent budgétaire dès 1998 alors qu’il affichait un déficit à deux chiffres en 1993. Cela a-t-il débouché sur une croissance anémique ? Pas du tout : elle a atteint entre 1994 une moyenne de près de 3,5% par an. Plus proche de nous figurent les exemples allemand et lettons qui montrent les succès d’une politique d’austérité. De plus, des études récentes [3] ont démontré qu’il était économiquement plus efficient de jouer sur les baisses de dépenses plutôt que sur les hausses d’impôts pour ramener un budget à l’équilibre. Difficile dans ces conditions d’affirmer que cela n’a jamais réussi.

Outre la fin des politiques d’austérité (dont nous avons vu qu’elles n’avaient pas été mises en place et qu’elles ne s’opposaient pas à la croissance), Stiglitz avance d’autres solutions : les créations d’une union bancaire et des eurobonds.

En quoi consiste l’union bancaire, pour laquelle le Conseil européen vise un accord avant fin 2013 ?

Cette réforme est organisée autour de trois points :
- la centralisation de la supervision bancaire par la Banque centrale européenne (qui devrait se réaliser dès 2014),
- a mise en commun des schémas nationaux de protection des dépôts,
- a création d’un fonds commun pour la résolution des banques en difficulté.

Uniformiser les normes prudentielles interdit aux superviseurs nationaux d’appliquer des règles plus strictes. De plus, cela rajoute un fort risque systémique puisque cela débouchera sur une uniformisation des comportements des banques, ce qui veut dire que quand des erreurs seront commises, elles le seront en même temps. De même, la mutualisation des coûts de renflouement ne va pas dans le sens de la responsabilisation des États membres.

Quant aux eurobonds, ils ne sont pas la solution à la crise. Leur création introduirait, en effet, un nouvel aléa moral qui déresponsabiliserait encore plus les gouvernements. La mise en place de l’euro a permis aux États d’emprunter à des conditions financières très proches (ce qui est aussi l’objectif des eurobonds) jusqu’au deuxième semestre 2008, où elles ont commencé à diverger. Ces eurobonds, qui ont donc déjà existé, n’ont pas empêché le surendettement de plusieurs États. Qui plus est, par les taux d’emprunt très favorables qu’ils ont autorisés, il est même permis de penser qu’ils l’ont favorisé et que les gouvernements en ont profité pour augmenter les dépenses publiques. En déresponsabilisant encore plus les gouvernements et en permettant des comportements de passager clandestin [4], les eurobonds ne feraient donc qu’empirer la situation actuelle.

Stiglitz s’en prend ensuite au libéralisme par le biais de la main invisible : « la main invisible censée réguler le marché est invisible… parce qu’elle n’existe pas. » Il commet là un grand contresens sur la signification de la ‘main invisible’, introduite par Adam Smith dans son ouvrage La Richesse des Nations. Adam Smith signifiait simplement qu’en recherchant leur intérêt personnel, les individus pouvaient contribuer au bien-être commun, sans qu’ils aient eu pour but initial d’y participer. Ainsi, le cordonnier produit des chaussures pour les vendre et avec les bénéfices réalisés subvenir à ses besoins, pas pour l’intérêt de la société, même si celle-ci s’en trouvera mieux. Il n’est donc ici aucunement question de régulation de marché.

Ce concept de ‘main invisible’ fut ensuite repris et approfondi par Hayek sous la dénomination d’ordre spontané défini sur Wikiberal de la manière suivante : « ordre qui émerge spontanément dans un ensemble comme résultat des comportements individuels de ses éléments, sans être imposé par des facteurs extérieurs aux éléments de cet ensemble. » C’est donc tout à fait logiquement que Stiglitz s’en prend ensuite au prix Nobel 1974 : « la vérité est que la vision d’Hayek, qui stipule que le marché fonctionne parfaitement seul et s’autorégule, était fausse. ». Là encore, on voit bien que l’interprétation que fait Stiglitz d’Hayek est complètement erronée. Qui plus est, on peine à discerner par quel raisonnement logique Stiglitz déduit de la défaillance de la réglementation par l’État, une incapacité par le marché à s’autoréguler.

Joseph Stiglitz conclut de manière symptomatique que « Keynes avait totalement raison » et que « ses prévisions expliquant que les dépenses publiques stimuleraient l’économie […] étaient totalement justes. » De plus, les solutions proposées et évoquées dans cet article ne seraient pas plus efficaces que les premières, et aurait là aussi des effets pervers.

De manière générale, Stiglitz est dans le déni de réalité. Il utilise le prestige de son prix Nobel pour se contenter d’étaler sa foi dans le keynésianisme sans présenter le moindre argument. Stiglitz est sans doute la meilleure illustration de ce envers quoi Hayek nous avertissait en disant « qu’un prix Nobel confèrerait à un individu une autorité qu’en économie nul homme ne devrait posséder. »
  
Liens :

[2] Certaines banques ont une taille si importante qu’elles présentent un risque dit systémique, c’est-à-dire que leur faillite entraînerait par effet domino la chute d’autres institutions financières. Ces banques sont dites « too big to fail », « trop grosses pour faire faillite ».

[3] Large Changes in Fiscal Policy: Taxes versus Spending, publié par Alberto F. Alesina et SilviaArdagna. The Right Way to Balance the Budget, publié par Kevin A. Hassett, Andrew G. Biggs et Matthew H. Jensen

[4] Le comportement de passager clandestin consiste ici à bénéficier des avantages de l’union économique sans en respecter les règles de gestion rigoureuse.

Article publié initialement en deux parties sur 24hGold en 2 parties:


Ainsi que sur Contrepoints :

mardi 19 novembre 2013

The Driver – Garet Garrett (1878-1954)

Chaque semaine, Contrario vous recommande un ouvrage tiré de la grande bibliothèque du libéralisme et du capitalisme de laissez-faire. Aujourd’hui, nous faisons la part belle au mouvement libertarien américain en vous conseillant la lecture de « The Driver » du romancier et journaliste américain Garet Garrett (Edward Peter Garrett, 1878-1954).


L’histoire se déroule à la fin du 19e siècle à New York où une vague de chômage frappe durement le pays sur fond de manipulation monétaire par le gouvernement au bord de la faillite, entraînant ainsi des manifestations de socialisme tentant de trouver écho parmi la presse et au sein du gouvernement. Mais Henry M. Galt, financier et spéculateur de haut vol, n’en a cure et s’intéresse particulièrement à une société de chemin de fer en pleine déliquescence. Armé d’un plan ambitieux et d’un élan entrepreneurial surpuissant, Galt - le personnage héroïque qui inspirera Ayn Rand pour son héros dans « Atlas Shrugged » - rachète l’entreprise, en prend la conduite (« I am the driver ! ») et la transforme rapidement en un groupe florissant, non sans éveiller les envies et les rancœurs des castes, lobbies et corporations environnantes.

Une immersion passionnante à l’aube du 20e siècle dans l’Amérique encline à tourner le dos à ses valeurs fondatrices libertariennes et capitalistes au profit du corporatisme et de l’interventionnisme étatique.
     
Le livre est téléchargeable librement et gratuitement au bout de ce lien :

vendredi 8 novembre 2013

For A New Liberty, The Libertarian Manifesto – Murray Rothbard (1926-1995)

Chaque semaine, Contrario vous recommande un livre tiré de la grande bibliothèque du libéralisme : For A New Liberty, The Libertarian Manifesto – Murray Rothbard (1926-1995).


Disciple de Mises et de l’école autrichienne, Murray Rothbard défend une théorie des droits naturels à l’encontre de l’utilitarisme de son maître. Il soutient que le seul État qui pourrait être cohérent avec la morale objective des droits naturels est un État inexistant.

Rothbard défend la thèse que le marché est capable, par l’intermédiaire d’entrepreneurs, de prendre en charge la production de sécurité. Outre que cette pensée crée une réelle rupture avec la justification traditionnelle de l’intervention de l’État, disposant selon la vulgate wéberienne, du « monopole de la violence légitime », Rothbard souligne que le fonctionnement du marché sur ce type de marché ne diffère pas de celui des autres. En cela, il n’existe plus d’espace d’intervention légitime pour l’État.

Il applique également une analyse libertarienne vigoureuse sur un large éventail de questions comme l’éducation ou l’écologie.

Lien vers le livre téléchargeable librement et gratuitement :

lundi 28 octobre 2013

Liberté bien ordonnée commence par soi-même

Auteur : Baptiste Créteur
Mise en ligne : 28 octobre 2013

L’histoire des révolutions, et plus récemment le printemps arabe, invite ceux qui aspirent à plus de liberté de garder à l’esprit que s’il est possible de renverser ou réformer un système, le vide peut être remplacé par pire


L’histoire des révolutions, et plus récemment le printemps arabe, invite ceux qui aspirent à plus de liberté de garder à l’esprit que s’il est possible de renverser ou réformer un système, le vide peut être remplacé par pire. Et c’est logique : quand le pouvoir disparaît, il faut qu’il soit remplacé, et rien ne dit que c’est la liberté plutôt qu’une autre forme ou un autre avatar du pouvoir qui s’en chargera.

Il devient maintenant évident que le système actuel va s’effondrer. Non seulement le système français, mais aussi la social-démocratie dans son ensemble. Elle est victime d’un cercle vicieux, qui détourne une part croissante des ressources créées et disponibles des activités productives et des fonctions régaliennes vers la redistribution et le fonctionnement de l’appareil bureaucratique et normatif.

Mais dans le cas français, la grogne s’étend, la pression monte, et le gouvernement maintient son cap. Beaucoup auraient sans doute ici évoqué l’absence de cap, l’attitude semblable à celle d’un poulet sans tête, et il est vrai que le comportement de ceux qui nous gouvernent est digne d’un animal n’ayant pas assez de neurones pour ne pas déféquer en mangeant. Mais ne nous y trompons pas : le gouvernement a un cap.

Il fait preuve de constance dans l’augmentation de la pression sur les créateurs de richesse et les services régaliens pour éviter de réduire les dépenses de l’État. Il pousse toujours plus loin le collectivisme, la déresponsabilisation, la déconstruction à marche forcée, l’aplanissement ; il acculture toujours plus les citoyens pour promouvoir diversité, mixité, parité, vivrensemble. Étonnamment, diversité et parité sont d’ailleurs, avec l’égalité des chances, devenues des fins en soi, comme si la question de ce que sont ces chances importait peu ; et, toujours plus étonnamment, le remplacement progressif des repères n’est pas concomitant à un remplacement des élites en place.

Toujours est-il que les Français en ont marre et atteignent, sur tous les fronts, un point proche de la saturation. Ils en ont marre qu’on leur dicte leur conduite, que certaines pensées leur soient interdites (sans préjuger du bien-fondé de ses pensées) ; ils ne veulent plus continuer à payer de plus en plus cher pour les autres. En clair, les Français ne veulent plus qu’autrui leur impose ses choix. Ils l’acceptaient à tort jusqu’à ce qu’autrui se montre aussi gras et ingrat, mais l’époque de la résignation frustrée semble révolue : les Français veulent redevenir des individus.

Ils sont alors confrontés à ce monstre qu’ils ont, sinon créé ou appelé de leurs vœux, au moins nourri pendant bien trop longtemps : le collectif, incarné par l’État. Qui peut, du jour au lendemain, changer le cours de leur vie, souvent pour le pire ; individuellement, beaucoup pensent sans doute avoir plus à perdre qu’à gagner à provoquer les ires de l’État.

Heureusement, il est possible d’agir de façon constructive, aussi bien pour éviter que le pouvoir ne soit réquisitionné que pour éviter le courroux de l’administration et ses protégés. Il ne s’agit pas de lutter contre l’État, ni avec lui ; il s’agit de le remplacer (Rien n’interdit, évidemment, d’éviter de le nourrir, et de mettre quelques grains de sable dans les rouages les plus invasifs et les plus bruyants).

Quelle que soit la légitimité d’une opposition, elle n’est pas pour autant un projet. Les partis français ont de nombreuses caractéristiques communes, notamment leur collectivisme plus ou moins assumé ; l’une d’entre elles est d’être, systématiquement, dans l’opposition. Depuis son accession au pouvoir, le gouvernement actuel n’a pas réellement changé de discours ; il n’y a pas de réel projet, si ce n’est de changer ce qu’ont fait les majorités précédentes et tenter d’insuffler un peu d’optimisme aux citoyens, qui sentent bien que le gouvernement n’a plus pour les honnêtes gens qu’un pouvoir de nuisance.

Je ne suis pas celui qui prétendra formuler ce projet. Fuyez celui-là comme la peste. Le seul projet digne d’être mené, c’est de récupérer vos vies, vos choix, vos principes et vos valeurs. Et pour cela, il faut faire société.

Il ne s’agit pas de vivre ensemble pour vivre ensemble, ou de monter des associations spécialisées dans la chasse aux sorcières et aux subventions et le détournement de fonds, ou d’organiser des groupes de parole et assemblées générales. Il s’agit de remplacer l’État. Démissionnaire de ses fonctions régaliennes, toujours plus menaçant envers la propriété, il sera bientôt incapable de protéger les citoyens ; que ceux-ci s’organisent pour jouer ce rôle. Qu’ils défendent, pour eux-mêmes et pour autrui, libertés individuelles, propriété et sûreté. Qu’ils s’unissent pour revendiquer leur individualité et leurs droits. Qu’ils s’associent librement pour poursuivre des intérêts communs.

Qu’ils refusent la toute-puissance des syndicats violents, l’impunité des politiciens corrompus, et dénoncent systématiquement les premiers et les seconds. Qu’ils défendent systématiquement leurs valeurs lorsqu’elles sont menacées par un discours de plus en plus normé et de moins en moins précis. Qu’ils contribuent aux initiatives dont ils estiment qu’elles amélioreront leur sort.

Une partie significative de la population est désemparée ; l’État qu’elle pensait omnipotent se révèle impuissant, les convictions profondes qu’on lui a asséné depuis la maternelle se révèlent erronées et cette prise de conscience continuera de s’étendre. Comprenant que l’État n’a pas la solution à tout, elle comprend qu’il n’est pas la solution à tout. D’ici à ce qu’elle envisage que la solution soit la fin du tout-État, il n’y a qu’un pas pour lequel elle peut sans doute être poussée.

Ce n’est pas à moi de dire ce que chacun doit faire, mais je me permettrai de donner des pistes sur ce que chacun peut faire :

Préparer, pour soi-même, l’après-État et sa chute. Liberté bien ordonnée commence par soi-même.

Soutenir les initiatives menées par d’autres. Contrepoints, par exemple, veut remplacer la presse d’État pour offrir une information de qualité et une opinion libre ; l’indépendance du journal et de l’association qui l’édite n’est possible que grâce à vos dons. Consacrer du temps et des ressources à faire avancer la liberté.

Faire société, remplacer l’État. À l’échelle locale ou nationale, seul ou en groupe, nous pouvons tous contribuer à libérer les esprits et les individus de l’emprise de l’État. Il est commode que l’État gère ; pour libérer l’espace nécessaire à l’expression des préférences que chacun, faisons en sorte qu’il soit remisé au grenier.


vendredi 25 octobre 2013

La Loi - Frédéric Bastiat (1801-1850)

Chaque semaine, Contrario vous recommande un ouvrage tiré de la grande bibliothèque du libéralisme : La Loi - Frédéric Bastiat (1801-1850).


Au crépuscule de sa vie en 1850, Frédéric Bastiat nous délivre cet essai court mais intense, dans un style très caractéristique de l’esprit pétillant de son auteur. Dans ce pamphlet, il répond à cette question: Qu'est-ce que la loi ? Que doit-elle être? Quel est son domaine? Quelles sont ses limites? Où s'arrêtent, par suite, les attributions du Législateur? Il définit la loi comme la force commune organisée pour faire obstacle à l'Injustice, l'organisation collective du Droit individuel de légitime défense. Il en conclut que la Loi, c'est la Justice, la Justice organisée.

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vendredi 18 octobre 2013

La théorie fallacieuse de la pénibilité du travail : une conséquence logique du système étatique de la pension par répartition.

Auteur : Thib13
Mise en ligne : 18 Octobre 2013

Nous ne sommes pas sur terre pour vivre sur le compte d’autrui (sauf si c’est une relation librement consentie). Personne ne me doit une vie et des standards élevés. Egalement, ce n’est pas la fonction qui t’honore mais la manière dont tu la remplis.


Un concept bien ficelé qui revient toujours dans la bouche des champions du socialisme (qu’on ne trouve pas qu’au PS ou au PTB…) [1] est celui de la pénibilité du travail et, par compensation, le « droit » de facto à une pension soit prématurée, soit mieux rémunérée, voire les deux, le cas des fonctionnaires de la SNCB étant particulièrement criant. Avant d’aborder le sujet, considérons un peu les points suivants.

D’abord, revenons au concept de droit qui, sous les coups de butoir des positivistes, a été dévoyé, maltraité, manipulé et transformé pour justifier l’intervention de l’Etat et de son monopole de la violence dans nos vies. Un droit est caractérisé par l’exercice naturel d’une liberté (ex. : le droit de respirer, d’exprimer son opinion, de ne pas être d’accord, de se déplacer…) tant que celle-ci ne nuit pas aux droits d’autrui (principe de non-agression, de non-entrave aux libertés et droits d’autrui).

Dans le monde du travail, cela se traduit pour quiconque par le droit de chercher un job ou d’entreprendre dans n’importe quel domaine pour lequel vous serez rémunéré à la hauteur de la valeur concédée par le preneur de vos biens ou services dans un contexte de libre-marché et de libre fixation des prix selon la loi de l’offre et de la demande. N’en déplaise aux politiques, fonctionnaires et autres bêtes étatiques, leur « travail » repose sur une agression vis-à-vis des acteurs privés qui n’ont pas librement consenti à leurs postes, rémunérations et avantages sociaux. Si tel est le cas, je demande que l’on me produise le contrat d’embauche signé pour chaque politique et fonctionnaire (y compris les fameux emplois subsidiés dans les ASBL et autres organes parastataux) sur lequel tous les habitants du Royaume auront apposé leur signature, et ce individuellement.

Au passage, le raisonnement est le même avec ces grandes entreprises, lobbies et corporations de touts sortes qui obtiennent des privilèges de l’Etat afin de se partager le marché après avoir évincé la concurrence. Il y a une violence faite à l’individu via l’utilisation du bras armé de l’Etat et de ses lois abusives. C’est un rapport non consenti et donc une violation du Droit Naturel. La résultante est une charge accrue pour le consommateur forcé de payer des prix plus élevés. Il se peut aussi que ce dernier n’aura dès lors pas les moyens de payer de tels prix, le privant tout simplement de ces biens et services.  Le « salaire » via le monopole de l’Etat est une rente non consentie par une large frange de la population qui en paie le prix, tantôt en monnaie sonnante et trébuchante, tantôt sous la forme de privations ou pénuries.  

J’ai le droit de chercher du travail. Personne ne peut m’en empêcher. Je n’ai pas le droit de forcé autrui à me verser un revenu via le monopole de la violence de l’Etat. Personne n’a l’obligation de me donner un job car, dans un tel cas, il ne s’agirait pas ici du libre exercice d’un droit et donc d’une liberté individuelle, mais de l’octroi d’un privilège, créant dès lors une caste de personnes mieux loties. Je ne suis plus dans une logique où mes clients consentent à me verser un revenu qui viendra constituer mon salaire, charges déduites, mais dans une logique d’agression via la confiscation par la voie fiscale et/ou législative d’une partie du revenu de l’un pour donner à l’autre privilégié. Il y a bel et bien une violation des droits naturels de l’individu dépouillé d’une partie de son revenu pour venir enrichir celui qui aura obtenu gain de cause. Cette violation est matérialisée par des prébendes et privilèges. Même dans le libre marché, je ne peux forcer autrui à me payer plus que le prix de l’utilité que ma contrepartie est prête à m’accorder pour le bien ou service que je mets en vente. Chercher un travail et offrir ses biens et services dans le cadre du libre-marché dans une approche mutuellement volontaire est parfaitement en harmonie avec le Droit Naturel. Revendiquer le « droit » au travail en obtenant un privilège d’Etat via la création d’une rente requalifiée en salaire est une violation pure et simple du Droit Naturel.

Cette clarification étant maintenant faite, penchons-nous un peu sur la question de la pension. Sa définition est très simple : il s’agit en fait d’une partie du revenu que l’on diffère dans le temps afin de s’assurer un revenu futur une fois la retraite arrivée. Je cotise aujourd’hui à échéances régulières (tous les mois par exemple) afin de percevoir un pécule pour mes vieux jours. En assurance, il s’agit d’une rente viagère qui s’éteint au décès de l’assuré bénéficiaire. A noter que le principe de la rente viagère en assurance repose sur la capitalisation. Les sommes que je verse tous les mois sont capitalisées et portent donc intérêts jusqu’à la date de la retraite où l’assureur passe du statut de créancier à celui de débiteur. Il paie la rente selon les termes du contrat passé avec le désormais retraité. Les premiers assureurs étaient en fait des caisses de secours mutuel apparues en Occident dès le moyen-âge et dont l’essor alla de pair avec la révolution industrielle dès la 2e moitié du 18e siècle. Cet ordre basé sur la responsabilité individuelle, la prévoyance et la libre contractualisation a été perturbé par l’apparition de la pension par répartition sous Bismarck au 19e siècle en Allemagne. Son principe repose sur le modèle suivant : les actifs cotisent via le paiement d’une rente aux non-actifs, càd les pensionnés. On assista donc progressivement à une éviction du système privé par capitalisation au profit du modèle étatique par répartition. C’est Hitler qui généralisera le monopole du système par répartition qui sera vite repris par le régime de Vichy. La France et la Belgique ne l’ont pas abandonné depuis. Les états européens, à des rares expressions près en raison de réformes (ex : la Suède), obéissent à ce modèle caractéristique de l’Etat-providence.

Le système de pension par répartition repose sur l’équation simplissime suivante : nombre d’actifs * cotisation moyenne = nombre de retraités * retraite moyenne. L’Etat se place donc comme la contrepartie unique vis-à-vis des cotisants et des bénéficiaires de cette rente qui n’ont plus vraiment à savoir comment, où et à quel prix tirer le meilleur rendement de leurs cotisations, ces dernières sont d’ailleurs passées du statut libre au statut forcé. Chaque allocataire potentiel n’est plus invité à l’exercice de ses propres droits naturels selon sa responsabilité individuelle et dans le respect des droits naturels d’autrui. Bien au contraire, chaque allocataire présent ou à venir se transforme en un lobbyiste ou mercenaire qui n’aura d’autres buts, à l’instar des nobles et aristocrates de l’ère précapitaliste, de quémander et obtenir prébendes et privilèges dus à son rang et à sa condition (du moins le pense-t-il avec conviction). On voit ainsi fleurir une multitude de régimes de pension d’Etat aussi complexes qu’inégaux et injustes, faisant la part belle aux politiques et à leur clientèle électorale, à savoir les fonctionnaires. C’est logique car ils ne résultent pas de la libre négociation entre les acteurs économiques. Ils n’émanent pas de la libre concurrence entre les parties, de la contractualisation volontaire, de la coopération sociale et du principe de non-agression. On comprend dès lors très vite comment ce système de pensions géré par le monopole de l’Etat dérive en une affreuse machine aux bureaucraties pléthoriques et procédures complexes en plus de provoquer lentement mais sûrement la désintégration sociale entre les individus de cette même société. La théorie fallacieuse de la pénibilité du travail est la conséquente directe du système étatique de pension par répartition où l’on préfère dépouiller son voisin plutôt que le servir. Plus grave encore, ce système de transfert des charges et rentes entre les travailleurs et les pensionnés est source de conflits intergénérationnels, d’autant plus exacerbé par l’inversion de la pyramide des âges, l’augmentation du chômage, la congestion du marché du travail en raison d’un code législatif complexe et surabondant et une fiscalité spoliatrice. Ceci nuit évidemment au développement du secteur privé au détriment du secteur public, ce qui contribue à accentuer la pression sur ceux qui produisent au profit de ceux qui vivent de la production d’autrui (avec en plus la sécurité de l’emploi pour ces derniers). L’effet d’éviction tend à accroître les exigences en termes de productivité vis-à-vis des salariés privés et indépendants qui se retrouvent dans une situation d’asservissement et travaillent dans des conditions de plus en plus pénibles à défaut d’une répartition équilibrée de la charge de production de bien et services réels. Il y a là tous les ingrédients pour un savant cocktail menant à terme à de graves conflits sociaux et à la révolution lors de l’effondrement du système qui n’est rien d’autre qu’un schéma de Ponzi.

Comme l’énonçait très justement l’excellent Frédéric Bastiat, « L’Etat est cette grande fiction à travers laquelle tout le monde veut vivre aux dépens des autres. » Il n’est donc pas étonnant que, dans ses conditions, un concept comme la pénibilité du travail est apparu sur toutes les lèvres avec, selon les opportunités offertes :
-         la diminution de l’âge de la pension,
-         l’introduction du concept de prépension,
-         la réduction des cotisations des uns pour augmenter celles des autres, voire même l’absence (ex. : pour les fonctionnaires communaux et provinciaux, la quote-part employeur n’étant pas versée par les communes et provinces),
-         la garantie de prestations plus élevées pour certains,
-         la mise en place conjointement d’un système par capitalisation pour les hautes castes (ministres, députés, sénateurs…).

Sans nier le caractère pénible de certains métiers tant au plan physique qu’au plan moral, on comprend très vite la teneur et l‘importance de cet argument fallacieux pour augmenter l’intrusion de l’Etat dans la vie des personnes jusqu’à régenter leur durée de carrière. Pour rappel, au-delà de 65 ans, les conditions d’exercice d’une activité rémunérée sont très limitatives même si les choses s’améliorent devant la faillite du système public.

Mais entrons maintenant dans le concept de pénibilité du travail. Porter des moellons tous les jours pendant huit heures est certainement éprouvant pour le corps. Néanmoins, de témoignage d’entrepreneurs dans la construction, ces basses mais néanmoins nobles tâches sont réservées aux jeunes manœuvres amenés à tester leur robustesse et leur motivation, les plus vieux et plus expérimentés étant dédicacés à des tâches plus génératrices de valeur ajoutée compte tenu du coût généralement plus élevé de leur propre travail. D’autant plus que des outils de portage et autres élévateurs existent pour alléger le travail.

Un job chez McDo peut être perçu comme rébarbatif, voire humiliant, surtout s’il est proposé à une personne diplômée. Il n’y a que des intellectuels à la recherche de la rente étatique (s’ils ne l’ont pas déjà trouvée…), en mal de reconnaissance publique et méprisant le libre marché (car ils n’y seront pas rémunérés à hauteur de leur prétendue grandeur) pour développer une telle image du marché du travail. Trouver un emploi, convaincre un employeur de vous rémunérer pour vos services, gagner ses premiers deniers, satisfaire la clientèle, affiner votre méthode de travail, gagner de l’expérience, apprendre à mordre sur sa chique, voilà ce que les premiers jobs vous enseignent ! Et si je dois me maintenir dans de tels emplois, je le fais sur base volontaire. Personne ne m’oblige à continuer. J’ajouterai aussi que les contraintes familiales et autres charges découlant d’une situation privée ne sont pas la responsabilité de l’employeur. Le salaire raboté par l’Etat et ses ponctions abusives ne relèvent pas de la responsabilité de l’employeur également (près de 250 EUR sont décaissés par l’employeur pour 100 EUR net en moyenne dans la poche du salarié belge).  Nous ne sommes pas sur terre pour vivre sur le compte d’autrui (sauf si c’est une relation librement consentie). Personne ne me doit une vie et des standards élevés. Egalement, ce n’est pas la fonction qui t’honore mais la manière dont tu la remplis.

Jusqu’après la moitié du 20e siècle en Belgique, l’extraction du charbon de manière manuelle était pénible et rébarbative en plus de se faire dans des conditions de travail déplorables. Les risques de blessures ou d’accidents mortels étaient élevés. On frémit d’horreur de nos jours à l’idée que femmes et enfants descendaient dans la mine et c’est tout à fait normal selon notre échelle de valeurs actuelle. Mais comment se fait-il que, de nos jours, même dans une Wallonie socio-économiquement très mal en point, plus aucun enfant, plus aucune femme ne doivent descendre à la mine ? Certes, la fermeture économique des mines peut être invoquée mais alors la région aurait dû être désertée. Or, il n’en en rien. La meilleure explication réside dans le concept de destruction créatrice de Joseph Schumpeter. Des industries disparaissent ou se restructurent en profondeur tandis que d’autres apparaissent sur fond d’innovation et de recherche et développement. Mais ce processus n’est possible qu’à travers l’accumulation du capital et l’augmentation de l’investissement en capital par personne dans des nouveaux secteurs et créneaux porteurs. Il faut du capital pour alimenter la dynamique créatrice et productive, ce qui implique de payer les salaires idoines au fur et à mesure que les profits sont générés. Il faut dire que, vu le code du travail, la fiscalité spoliatrice, le coût du travail, le terrorisme syndical et les conditions d’accès au permis d’exploitation, ce processus a été largement freiné. Nous vivrions plutôt sur nos chers acquis en ce moment, ce qui nous amène à consommer le capital accumulé et à nous rendre la vie pénible à nouveau dans un futur proche. Que penser de tous ces freins à l’innovation non par manque de capitaux (étrangers, notamment) devant le principe de précaution cher aux écologistes de tout bord ? Ce ne rien d’autre qu’un frein à la disparition de la pénibilité du travail. Quasiment plus personne ne meurt dans les mines de charbon exploitées en Europe de nos jours, très souvent à ciel ouvert d’ailleurs. Seuls ceux qui ont décidé de continuer à les exploiter à l’ancienne façon Germinal (cf. le roman d’Emile Zola) - comme c’est le cas dans l’ouest de la Chine où en moyenne 3 000 mineurs meurent tous les ans – sont un exemple criant de pénibilité du travail faute d’investissements et de liberté d’entreprendre. Leur travail est pénible et dangereux mais c’est justement le manque de capital et d’investissement dans des outils modernes qui est à blâmer, en plus d’une absence de liberté d’entreprendre et donc d’innover.

Et de grâce, épargnez-moi le couplet naturaliste larmoyant du paradis sur terre et de la corne d’abondance où nous vivions tous en paix et en harmonie en tenue d’Eve dans un passé lointain. Ce cas de figure n’a jamais existé (sauf peut-être pour ceux qui croient à la Bible mais cela ne constitue pas  un raisonnement et une démonstration scientifiques). A l’aube de l’ère industrielle, une femme sur cinq mourait en couche et le taux de mortalité infantile était très élevé. Les conditions de vie – ou plutôt de survie – étaient particulièrement pénibles (le concept de pénibilité prend ici tout son sens). Ceux qui nous peignent le tableau de la brave mère de famille préparant à manger pour les enfants alors que monsieur travaillait vaillamment mais sainement aux champs sont des affabulateurs et des révisionnistes de l’histoire. Les mères n’avaient tout simplement pas de quoi cuisiner et, dans la plupart des cas, ne disposaient même pas d’une cuisine et des ustensiles ad hoc. En 1760, la Grande-Bretagne comptait environ 7 millions d’habitants pour 1 million de gens dans un état de misère. Ces personnes défavorisées n’avaient que l’industrie de leur bras et leur dur labeur à offrir pour sortir de cet état. Ce qui fut fait en grande partie puisque, dès 1830, la Grande-Bretagne comptait près de 15 millions d’habitants avec des conditions de vie en nette amélioration pour les travailleurs. Les progrès de l’industrie du textile, de l’agriculture et du commerce d’import/export ont engendré des bénéfices qui ont permis l’accumulation de capitaux. Capitalistes et entrepreneurs se faisant la compétition pour attirer les meilleures travailleurs, ceci a tiré les salaires à la hausse, notamment sous la pression haussière provoquée par l‘augmentation du capital investi par personne. Même les entrepreneurs et capitalistes non présents dans les industries les plus florissantes ont dû concéder des hausses salariales afin de retenir la main-d’œuvre nécessaire dans leurs secteurs respectifs. Il y avait une plus grande quantité de biens produits dont les prix allaient decrescendo au fur et à mesure que leur offre augmentait pour satisfaire entre autres la demande des travailleurs.

De plus, nous étions passés d’une ère de castes basées sur des privilèges de rang dont il était quasiment impossible de se défaire à une ère industrielle et capitaliste où il était maintenant possible d’améliorer ses conditions de vie en servant ses congénères sur base volontaire sans avoir à les tuer et les dépouiller. Il n’est d’ailleurs pas étonnant de lire les témoignages de la plupart des nobles et conservateurs de l’époque qui abhorraient le système capitaliste de laissez-faire axé sur la propriété privée des moyens de production, y voyant là la perte de leurs privilèges d’Etat sur lesquels ils avaient bâtis et maintenus leurs fortunes et patrimoines. Désormais, la situation pouvait basculer rapidement si vous étiez incapables de gérer votre capital ou d’en confier la gestion à des personnes capables de détecter les besoins des consommateurs et d’y satisfaire à moindre coût. Le concept de servitude était remplacé par celui du libre-marché, par celui des relations commerciales librement consenties.   

Si l’on remonte plus loin encore dans le temps, hommes, femmes et enfants évoluaient dans un environnement encore plus hostile, devant affronter les saisons, la faune cruelle et la flore peu encline à leur assurer le minimum de subsistance pour une espérance de vie dérisoire. Le voilà le paradis sur terre auquel nos ancêtres étaient confrontés quand ils n’étaient pas pillés et taillés en pièces par quelques barbares venus du grand nord ou des soudards issus de la principauté voisine.

L’économie de libre marché, la propriété privée consacrée par des institutions immuables et la parfaite souplesse du marché du travail sont les leviers nécessaires pour accéder à des standards de vie plus élevés, y compris des méthodes de production moins pénibles pour les individus. Réclamer de l’Etat d’intervenir dans l’économie à tout-va, de provoquer des distorsions dans le système de formation des prix, de freiner voire stopper l’innovation, d’empêcher l’accumulation du capital, d’entretenir un système de politiques, fonctionnaires et transferts sociaux croissants… aura pour résultat de nous rendre la vie bien pénible. Surtout celle de nos enfants et de nos petits-enfants.

[1] « La plupart des gens qui ont lu le Manifeste du Parti Communiste ne réalisent probablement pas qu’il a été écrit par deux jeunes hommes qui n'avaient jamais travaillé un jour de leurs vies, et qui néanmoins parlaient hardiment au nom des "travailleurs". » - Thomas Sowell