Date de mise en ligne: 7 mars 2013
Lorsque la Commission Européenne a demandé l'ouverture à la concurrence
des marchés du gaz, de l'électricité, du téléphone, etc., elle déclarait avoir
pour but ultime "le relèvement du niveau et de la qualité de vie" des
consommateurs de l'Union. Le mot "consommateurs" ne figurait pas dans
ce préambule du Traité de Rome. Mais il est permis d'espérer que les pères fondateurs
avaient effectivement à l'esprit l'ensemble des citoyens, et non pas
exclusivement le niveau et la qualité de vie des seules bureaucraties.
Ces bureaucraties ont accepté à contrecœur d'ouvrir un marché jusque là
cadenassé par des entreprises publiques ou parapubliques. Le monopole des Etats
ou des entreprises parapubliques permettait de contrôler l'approvisionnement,
de bâtir des empires administratifs truffés de féaux du régime, gros
pourvoyeurs d'emplois partiellement ou totalement fictifs, sources de revenus
fiscaux et parafiscaux qui avaient l'avantage, fort apprécié en ces temps de
prédation fiscale galopante, de camoufler les revenus des bureaucraties sous
des intitulés tels que "cotisations de solidarité", "frais
d'acheminement" ou encore "fonds pour la rénovation du réseau".
Le bien-fondé et les vrais bénéficiaires de ces sources de revenus sont bien
entendu invérifiables par le consommateur individuel, qui ne pourra pas compter
sur les "commissions de régulation" mises en place par l'Etat, et
peuplées de "contrôleurs" issus de la même fonction publique.
Dans les pays anglophones, les efforts de transparence et d'ouverture
des marchés ont généralement donné de meilleurs résultats que sur le continent,
où la résistance des bureaucraties a été considérablement plus forte. En
Belgique, souvent laboratoire de l'absurde, il était certain, dès le départ,
que l'application pratique d'une intention louable serait nécessairement
bâclée. De nombreux consommateurs, sceptiques, ont donc choisi de rester
clients, par défaut, de l'ancien monopoleur. De plus, c'est pratiquement dans
la soi-disant capitale européenne que la libéralisation a eu le moins d'effet,
et ce pour trois raisons. La première est l'hésitation des concurrents
potentiels devant les exigences des différentes couches du mille-feuille
bureaucratique, qui n'avaient aucune intention de laisser tarir source de
revenus (pour elles) et de taxation "solidaire" (pour les
consommateurs). La seconde est l'avantage concédé au monopoleur sous forme
d'une régie d'une partie du réseau de distribution. La troisième est
l'importance des investissements requis, pour une population somme toute assez
restreinte et des imbroglios juridique, réglementaire, linguistique,
géographique, qui sont tous des facteurs d'incertitude et des excuses de
majorer les factures.
Six ans après la libéralisation du 1er janvier 2007, force est de
constater que l'évolution des prix au consommateur n'a plus aucune relation
avec les prix du gaz naturel sur les marchés internationaux, et donc, il est
permis de le supposer, avec les prix auxquels le monopoleur s'approvisionne
lui-même.
La comparaison des deux tableaux qui suivent est édifiante. Depuis
janvier 2010, le prix du gaz naturel sur les marchés libéralisés (le premier
tableau donne l'évolution des prix aux Etats-Unis) a chuté de moitié, même si
une reprise est constatée au second semestre de 2012. A Bruxelles, par
contraste, les distributeurs n'ont cessé d'augmenter leurs tarifs au cours de
cette même période. La "concurrence" semble n'avoir eu pour seul
effet que d'inciter les "concurrents" à se plaquer sur les tarifs de
l'ancien monopoleur, encouragés en cela, sans doute, par la nécessité de
reverser aux administrations une proportion de plus en plus importante de leurs
recettes.
Prix du gaz naturel à Bruxelles
(Source: www.brugel.be)
Le montant des factures n'a plus de rapport non plus avec l'évolution de
la consommation d'un particulier. Quels que soient ses sacrifices et ses
investissements pour réduire sa consommation, ce consommateur voit le total de
sa facture continuer à augmenter. Malgré des efforts de réduction de
consommation (et donc une notable baisse du niveau de confort et de la qualité
de vie), le fournisseur "historique" et par défaut continue à
augmenter le montant de ses prélèvements.
Début 2012, la responsable du quasi-monopoleur était récemment
interrogée dans les médias sur toutes ces contradictions, et sur l'annonce qui
avait été faite quelques jours auparavant que le prix final pour le
consommateur allait encore augmenter, en dépit de la chute des prix
internationaux. Elle acceptait de revenir sur cette décision de hausse, et
promettait au contraire une réduction des prix de 10% à partir du 1er mai 2012.
Publiquement, la société annonce donc une réduction de 10%, mais, sur
les factures individuelles, applique de fait une augmentation de 18% de
ses prélèvements pour les 12 prochains mois!
Il peut paraître difficile de faire évoluer le prix réclamé aux
consommateurs en fonction des prix sur le marché (ce qui serait pourtant le
résultat dans un marché véritablement concurrentiel) compte tenu des diverses
"contributions" reversées aux administrations, qui ne cessent de
réclamer de plus en plus de revenus. Si le consommateur bruxellois voyait sa
facture suivre l'évolution de la facture d'un résident de Washington DC, par
exemple, la part prélevée par l'administration, ajoutée aux frais de
"réseau" représenterait aujourd'hui la quasi-totalité (90%) de la
facture des particuliers. La fourniture de gaz naturel n'est plus qu'un prétexte
de prélèvements quasi-fiscaux.
Le consommateur est en droit d'attendre que ses factures suivent
l'évolution du prix du produit sur les autres marchés. Après tout, le
fournisseur ne fait que stocker et distribuer le produit, sans avoir à le
transformer.
Dans un tel arrangement, où la baisse de 80% du prix d'achat a été
intégralement transformée en bénéfices, et n'a pas été répercutée sur la
facture du consommateur, il serait absurde pour ce dernier de souscrire un
engagement à long terme, même si les "baisses" de tarif annoncées
sont réservées à ce type de contrat. Ceci n'aurait de sens que si des prix
garantis protégeaient effectivement la clientèle des variations trop
importantes sur les marchés internationaux. On voit surtout qu'un tel
engagement permet au monopoleur de continuer à appliquer des tarifs sans aucun
rapport avec la baisse considérable du prix du gaz naturel. Il n'existe
d'ailleurs aucune justification possible au refus du monopoleur d'appliquer les
baisses de tarifs aux contrats à durée indéterminée. Bien au contraire, ces
contrats se voyant appliquer les hausses plus rapidement, devraient également
bénéficier plus vite des baisses de prix.
Ces pratiques n'ont apparemment pas réveillé les fonctionnaires de la
"Commission de Régulation de l'Electricité et du Gaz" (CREG). Cette
Commission semble moins concernée depuis trois ans par son mandat
("veiller aux intérêts essentiels des consommateurs") que par le
maintien des prélèvements au profit des administrations.
L'accès facile aux médias publics, pour le fournisseur
"historique", permet au quasi-monopoleur de prétendre agir dans
l'intérêt du consommateur, tout en agissant différemment avec chaque
consommateur individuellement, sachant que ce dernier n'a pas accès aux mêmes
moyens d'information, subira sans réagir les décisions qui l'affectent, ou ne
prendra pas la peine d'éplucher les documents fournis par le fournisseur
historique (il est vrai qu'en 20 ans, le nombre de pages d'une facture est
passé de une à dix, ce qui rend - peut-être intentionnellement d'ailleurs - les
factures bien plus opaques).
Puisque les Commissions de Régulation ne remplissent pas la fonction
pour laquelle elles ont été créées, pourquoi ne pas utiliser les médias sociaux
pour diffuser les informations, et inciter tout un chacun à éplucher ses
factures, et - pourquoi pas? - s'indigner: cette fois, ce serait pour la bonne
cause: son propre intérêt et non celui des bureaucraties.
Début 2013, le même "opérateur historique" répète sa campagne
de publicité, et annonce une nouvelle baisse de ses tarifs. Comme en 2012,
cette baisse devrait être de 10%. L'année dernière, en fait de
"baisse", la facture des consommateurs a été au contraire alourdie de
18%. De combien la nouvelle "baisse" de 2013 va-t-elle augmenter
leurs factures en 2013?
Pour défendre de telles contradictions, et de telles amputations du
pouvoir d'achat des consommateurs, donc du bien-être général, l'opérateur
historique cite les obligations à long terme auxquelles il est soumis pour la
livraison du gaz. Ces contrats étant conclus avec des fournisseurs aussi
fiables que la Russie et l'Algérie, la seule chose qui soit certaine est le peu
de flexibilité de ces mafias de l'énergie. La Russie vend le même gaz à des
prix fixés "à la tête du client" (la Macédoine paie le gaz russe
quatre fois plus cher que la Biélorussie), et n'hésite pas à exiger le paiement
pour du gaz non livré (7 milliards de dollars à l'Ukraine).
La "sécurité de l'approvisionnement", ou plutôt les erreurs commises par les opérateurs historiques, qui ont préféré des alliances à long terme avec des mafias, à des conditions opaques et, bien sûr, "secrètes", vaut-il de payer le gaz quatre fois son prix? Ou les consommateurs doivent-ils accepter de voir leurs factures augmentées artificiellement pour entretenir des bureaucraties sous prétexte d'une prétendue "solidarité" à l'égard de pauvres que l'État lui-même a contribué à créer?