L’impasse des interventions publiques dans l’économie - Episode 1 : les titres-services.

Auteur: Nicolas Papageorgiou
Mise en ligne: 27 mars 2013

Résumé : nos gouvernements sont friands de l’intervention publique dans l’économie. Les politiques d’incitation, de soutien ou de dissuasion sont ainsi monnaie courante en Belgique. On ne peut pourtant que déplorer cette manie interventionniste, tant ces interventions tournent le plus souvent en catastrophes budgétaires et économiques. Cet article est le premier d’une série qui s’intéressera à ces politiques interventionnistes.


Titres-services ou un excès de paternalisme qui coûte cher

Il y a quelques semaines, une publication de la CSC titrait « Assainir le secteur des titres-services » (1). Plus tôt dans l’année, c’était La Libre Belgique qui titrait « Le titre-service, un système qui permet de voler l’Etat belge » (2). Ces titres en disent suffisamment long, aussi arrêtons ici la revue de presse.

Le but avoué des titres-services (TS) était la lutte contre le travail au noir dans le secteur des travaux ménagers. Il s’agit d’une activité à faible valeur ajoutée, généralement incompatible avec le coût exorbitant du travail que nous connaissons en Belgique (3). Le gouvernement a ainsi choisi de subventionner quatre types de services aux ménages (et pas un de plus !). La description minutieuse des services autorisés et la liste non exhaustive d’exclusions que l’on peut découvrir sur le site de l’ONEM vaut d’ailleurs son pesant de paternalisme et de micro-management dont nos ministres ont le secret (4).

Les TS ont donc été lancés en 2001. Pour rappel, le système fonctionne de la façon suivante :
1)     Les particuliers achètent les TS à la société émettrice à 8,5 euros par TS
2)     Les entreprises TS encaissent auprès de leurs clients (les particuliers) un TS par heure prestée par leur personnel
3)     Les entreprises TS reçoivent 22,04 euros par TS qu’elles remettent à la société émettrice. La différence entre ce montant et les 8,50 euros payés par les particuliers est financée par l’Etat.
4)     Les particuliers peuvent déduire fiscalement les TS, le taux de déduction fiscale étant de 30%. Le coût net d’un TS est donc de 5,95 euros.

L’Etat subventionne donc les TS à hauteur de 16,09 euros par TS. Notons ici que les entreprises TS peuvent aussi bénéficier sans restriction des subventions classiques à l’embauche (Activa,…)

Que s’est-il passé depuis ? A première vue, le système est parfait. Les clients reçoivent un service à un prix défiant toute concurrence et le secteur a « créé » des dizaines de milliers d’emplois.

L’envers du décor est toutefois moins reluisant. En premier lieu, la facture pour l’Etat ne cesse d’enfler et explose toutes les projections. Le coût brut des TS dépasse maintenant le milliard et demi d’euros. Le plan a trop bien réussi et l’Etat ne sait plus comment maitriser le monstre budgétaire qu’il a créé. La dernière réforme de l’Etat va par ailleurs transférer le problème du fédéral vers les régions, à charge pour elles de trouver une solution. On sera curieux de voir comment ce transfert va s’opérer, même si on peut d’ores et déjà s’attendre à une nouvelle expansion de l’usine à gaz encadrant le régime TS.

Un système qui ne bénéficie pas qu’aux ménages

Les dégâts budgétaires ne s’expliquent malheureusement pas uniquement par le succès commercial des TS. L’avalanche de subsides attire bien évidemment les amateurs d’argent facile, qui n’en demandaient pas tant ! Ces derniers redoublent de créativité pour encaisser les subsides plus vite qu’ils ne les dépensent. Les opportunistes sont de plusieurs types.

Il y a d’abord les entrepreneurs aguerris, qui n’avaient pas spécialement d’expérience dans le secteur du nettoyage mais qui ont tiré le meilleur profit du système. Vu le haut niveau de subventionnement, il est en effet possible de générer un profit substantiel avec une activité TS. Chapeau bas pour ces personnes mais il est clair que ce n’était pas l’intention initiale que d’enrichir à bon compte des personnes qui se débrouillaient déjà bien dans la vie.

Ensuite, il y a une frange des entreprises TS qui font purement dans la fraude. Il est en effet difficile (et coûteux) de contrôler l’ensemble de l’activité du secteur et cela d’autant plus que jusqu’à récemment, le gouvernement n’avait pas mis en place des procédures de contrôle dignes de ce nom. La Cours des Comptes relevait encore en 2009 de tels manquements dans le contrôle du système (5). Comme si cela ne suffisait pas, l’introduction récente et mal gérée des TS électroniques a ouvert de nouvelles possibilités de fraudes (2). Le gouvernement, lent à la détente par nature et parfois absent de son poste pendant plus de 500 jours, a finalement pris récemment des mesures pour tenter d’endiguer le phénomène de fraude (6).

Au-delà des conséquences budgétaires dont on se passerait bien, les TS ont des effets secondaires moins perceptibles mais très problématiques. Ils ouvrent en effet la porte à des pratiques de concurrence déloyale puisque rien n’empêche les travailleurs TS de fournir des services autres que ceux prévus par la loi. Jardinage, entretien et rénovation de logement, travaux de couture et j’en passe, cela alors qu’il est impossible de contrôler l’activité effective des travailleurs TS (7). De telles pratiques menacent directement les entreprises des secteurs concernés, ce qui risque de les inciter à se lancer à leur tour dans l’illégalité.

Finalement, quel est le bilan des Titres-Services ?

Issu d’un objectif à priori louable, le système des TS et les couches de régulation qui s’y sont progressivement empilées ont amené de profonds changements dans le secteur très basique des services ménagers. Ce secteur s’est transformé en une activité économique hautement surveillée, nécessitant une gestion plus élaborée qu’auparavant et désormais soumise à l’exigence de disposer d’au minimum 25000 euros de fonds propres. Cette dernière exigence est vraiment un comble alors qu’à l’origine une femme de ménage ne devait investir que quelques euros dans l’achat un tablier pour se lancer dans le business.

Même si le régime TS est ouvert aux travailleurs indépendants, force est de constater qu’en pratique, ce n’est pas le cas (8). Les travailleurs du secteur doivent dorénavant perdre leur liberté d’entreprendre et se faire embaucher par une entreprise créée par un investisseur déjà bien nanti, ce dernier se rémunérant en prélevant son écot sur les subventions. Il est loin le temps où même sans parler notre langue, la femme de ménage polonaise se constituait sans difficulté une clientèle.

On peut aussi se poser des questions plus fondamentales à l’égard des subventions TS. Comment l’Etat peut-il justifier le subventionnement aussi massif d’un secteur à si faible valeur ajoutée et à faible risque (puisqu’il ne requiert à priori aucun investissement lourd), alors que de leur côté nos exportateurs, nos industries, aux prises avec une concurrence internationale impitoyable, doivent composer avec des coûts salariaux délirants ?

Le constat global que l’on dressera, c’est qu’en essayant de maîtriser le problème particulier du travail au noir dans les services ménagers, l’Etat a non seulement généré une usine à gaz administrative et un casse-tête budgétaire, mais il a en plus ouvert la porte à de nouvelles possibilités de profit facile, de fraude et de concurrence déloyale. Au surplus, il supporte de manière indécente un secteur d’activité respectable mais qui est loin d’être exposé à la concurrence internationale. On est dans la situation classique où en intervenant dans l’économie de manière trop ciblée, l’Etat a généré une kyrielle de nouveaux problèmes. Il a aussi rendu quasi impossible le travail indépendant dans ce secteur alors qu’il constitue pourtant un secteur de choix pour cette forme de travail (multiples clients, flexibilité des horaires, faible intensité capitalistique,…).

La solution libérale aurait été de ne pas intervenir dans un secteur particulier du marché du travail. Le problème du travail au noir s’explique par l’inadéquation entre le coût du travail et le prix que les clients sont disposés à payer pour un service, quel qu’il soit. La réponse à donner est de réduire de façon générale le coût du travail pour le ramener au prix du marché plutôt que d’accorder des subventions à un secteur particulier.

(3) Un travailleur employé au salaire minimum (1350 euros brut/mois, 13 mois par an) et jamais malade coûte environ 15,5 euros/h TVAC. S’il devait être placé auprès de clients pour un quelconque travail, ses services seraient facturés à près de 20 euros/h (compte tenu de frais de déplacement, de frais fixes à amortir et d’une très maigre marge bénéficiaire), pour un salaire net inférieur à 9 euros/h.
(8) Tableau 63 du rapport d’évaluation 2009 du régime des TS :

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