Auteur: Thib13
Mise en ligne: 29 avril 2013
La 1ère partie de cet article nous a montré, à travers une brève critique de la dialectique marxiste et un aperçu de la supériorité économique du capitalisme, la nécessité de maintenir un régime de propriété privée des moyens de production et des libertés individuelles au plus haut degré. Cette 2e partie va résumer la charge la plus dévastatrice jamais rédigée contre le socialisme sous la plume de Ludwig von Mises dans un article mémorable d'une quarantaine de page intitulé "Le calcul économique sous régime socialiste" et paru en 1920, soit 3 ans après la révolution bolchevique.
Pour rappel, un régime socialiste est un système caractérisé par la nationalisation, c-à-d la propriété publique, des moyens de production. La propriété privée y est proscrite. L'appareil central d'état possède et gère les moyens de production. Il a à sa charge d'assurer l'offre de biens et de services afin de satisfaire la demande des consommateurs. En toute omniscience, il revient à cet appareil d'assurer la planification économique tout en s'arrogeant le droit de percevoir et assouvir les désirs de chaque consommateur. Le travailleur reçoit les ordres d'en haut relayés par des bureaucrates et commissaires. Les capitalistes et entrepreneurs sont bannis. D'ailleurs, le capital est entre les mains de l'état. Lorsque l'on parle de socialisme à vocation industrielle (comme celui de Moscou après 1917), il est monnaie courante de parler de capitalisme d'état.
Il est à noter que nazisme et fascisme, outre le fait que ce sont des variantes du socialisme à forte composante raciste, présentent des systèmes économiques pouvant tolérer la propriété privée des moyens de production mais celle-ci est très relative car les entrepreneurs doivent obéir aux ordres du pouvoir central quant à ce qu’ils doivent produire et en quelles quantités. Ce n’est qu’une propriété privée de façade, l’entrepreneur n’étant pas libre de décider lui-même de l’usage et de l’orientation des ressources.
La technique des marxistes est de débattre et ratiociner pendant des heures, coupant les cheveux en quatre puis en huit puis en seize, raillant, moquant, insultant leur interlocuteur, le taxant d'intolérant, de bourgeois, de réactionnaire et de traître. Nul besoin de vous perdre dans les méandres du matérialisme dialectique marxiste. Un petit rappel à la raison via les arguments suivants fera vite revenir nos doux rêveurs à la dure réalité terrestre, celle de devoir composer avec des ressources rares. Nous allons passer cela en revue.
Dans leurs rêves romantiques de retour au jardin d’Éden et leur abus de matérialisme dialectique, un point extrêmement important et délicat a échappé à nos penseurs socialistes dont Karl Marx. Mises, en chevalier du libéralisme, le leur rappellera douloureusement sur 40 pages. Sans cris et sans insultes. Avec raison et logique. D'une justesse si imparable que nul n'est parvenu à le réfuter sur ce point de détail d'une importance colossale puisqu'il met à bas tout l'édifice socialiste: le calcul économique.
Il y a bien longtemps que nous avons dépassé le stade de l'économie directe caractérisée par le troc et l'échange de biens à des fins de subsistance comme elle prévalait dans les sociétés primitives. La mise de côté de quelques biens pour les jours sombres (en fait la première forme d'accumulation des biens) laissait bien poindre une ombre de capitalisme mais il est encore trop tôt pour pouvoir affirmer une telle chose.
L’échange direct se faisait sur base de denrées échangées contre d’autres denrées (A échangeait avec B 1 poule contre 10 livres de blé). Le problème est vite survenu avec le développement de l’échange et la multiplication des denrées et participants au système. En effet, comment faire si A consentait à se défaire de sa poule pour du blé alors que B n’en voulait pas voulait et était plutôt à la recherche de pommes de terre. A devait donc trouver une tierce-personne C encline à accepter sa poule contre 15 livres de pommes de terre et, ensuite, s’en retourner vers B pour conclure l’échange. Ce n’était pas pratique. C’était un frein au développement économique.
C'est avec le développement de l'économie, des biens, des producteurs et des intermédiaires qu'est née la notion d'échange indirect et surtout le besoin de recourir à un moyen d'échange communément accepté: la monnaie. Poules, blé et pommes de terre pouvaient se monnayer contre un instrument de confiance et de réserve de valeur, un dénominateur commun. La monnaie prend diverses formes mais se fige surtout dans des mesures d'or ainsi que d'argent et de bronze pour les transactions plus modestes. Suivant certaines périodes de rareté ou d'interdiction de transport, les métaux précieux viendront à manque et pourront être remplacés ça et là par des coquillages, des balles de tabac ou encore du bétail. Mais l'or prend le dessus et s'impose comme le référent de premier ordre en termes de monnaie d'échange. Et ça tombe bien car, au fur et à mesure que l'essor industriel se développe en Occident à partir de 1750, les techniques de production vont s'améliorer bénéficiant de gains de productivité via les avancées technologiques (métiers à tisser, force motrice via la maîtrise de la vapeur, irrigation des cultures...). Ceci a pour corollaire de rallonger et complexifier les chaînes et processus de production, le consommateur étant demandeur de la plus grande quantité de biens au meilleur prix. Cela nécessite un suivi minutieux de la chaîne et de la rentabilité à toutes les étapes de la production.
Le grand auteur allemand Johann Wolfgang Goethe lui-même était en admiration devant le système de comptabilité à double entrée (1). Doté d'un esprit vif et d'une intelligence supérieure, il perçut rapidement l'avantage à tirer de cette technique fantastique. Utilisant l’unité monétaire comme dénominateur commun, il devient possible d'affiner le monitoring de l'usage des ressources rares par application du calcul économique à chaque étape de la grande chaîne. Des biens de production (input aussi appelé biens d'ordre supérieur) aux biens de consommation (ouput aussi appelés biens d'ordre inférieur), les entrepreneurs peuvent, sur base de leurs anticipations des prix futurs, monitorer leurs achats et ventes ou ceux de leurs directeurs de départements obtenant des référentiels de prix dans un marché tendant vers l'efficience avec le développement économique et l'augmentation de la concurrence. Des signaux clairs de rentabilité ou de manque de rentabilité peuvent être observés à échéances rapprochées. Ceci se passe dans un régime de libre marché avec un frottement relativement peu important de l'autorité étatique et de la fiscalité. Les entrepreneurs se font concurrence en cotant des prix à la vente comme à l'achat de biens et de services. Ces prix sont déterminés par la loi de l'offre et de la demande. Ils permettent le suivi du compte de résultats et du plan d'affaires dans le but ultime de dégager un bénéfice et accumuler du capital tout en composant avec des ressources rares.
Le calcul économique dans une économie d'échange indirecte en régime de libre marché est l'outil indispensable permettant d'évaluer ex post la rentabilité d'un investissement ou, en cas de perte, d'un malinvestissement (traduction littérale de l'anglais malinvestment). Tout au long du processus, l'entrepreneur peut corriger le tir ou temporiser, voire supprimer, certaines étapes de production grâce au calcul économique. D'autres indicateurs comme les taux d'intérêt et les prix des matières premières lui permettent d'affiner son jugement dans cette tâche délicate. Au delà du taux de rentabilité escompté, les bons investissements peuvent être étendus jusqu'à leur utilité marginale. En deçà du taux de rentabilité, les mauvais investissements connaîtront la restructuration ou la liquidation. C'est le processus de l'économie de marché sous régime de propriété privée des moyens de production.
Il en va tout autrement en régime socialiste. Les moyens de production étant entre les mains de l’état, les entrepreneurs devenus des bureaucrates évoluent dans un marché figé où il n’y a pas de référentiels de prix émanant de l’application de la loi de l’offre et de la demande. Ceci entraîne l’impossibilité d’établir un suivi des résultats par rapport au plan d’affaires venant de la planification centrale. Ce processus n’est pas viable car il n’y a aucun indicateur fiable disponible pour renseigner les intervenants quant à leur bonne allocation des ressources et l’atteinte de leurs buts, un peu comme un si nous devions évoluer dans le noir, privés de toute vue. Sans libre fixation des prix entre acheteurs et vendeurs, il n’y a pas de possibilité d’établir un calcul économique solide. Et sans calcul économique, il n’y a pas d’allocation optimale des ressources pour produire des biens et des services satisfaisant la demande des consommateurs. Notons ici que le consommateur dans un tel système n’est qu’un individu figé n’ayant pas voix au chapitre puisque le planificateur central décide à l’avance ce qu’il doit recevoir et combien il doit payer.
Lorsque Ludwig von Mises publia cet article en 1920, le socialiste Oskar Lange le remercia pour ses remarques pertinentes et tenta ironiquement de convaincre le public qu’une alternative avait été trouvée : les bureaucrates joueraient aux entrepreneurs en simulant le libre marché et en se cotant l’un l’autre les prix des biens et de services. Inutile d’insister sur le fait que ceci ne marcha pas. Outre le fait que bureaucrates et fonctionnaires n’avaient pas la même ardeur au travail, il n’est pas concevable qu’un référentiel de prix fiable en résulte quand on n’a pas un intérêt financier particulier dans l’entreprise et que le bureau de planification a déjà déterminé l’output total ainsi que les prix. Cette solution était risible mais eut des conséquences dramatiques sur la vie des peuples soviétiques.
Un exemple concret est celui de cette usine de clous russe dont le directeur, désemparé devant cette impossibilité de calcul économique, interrogea le bureau central à la planification quant à la diversité, la quantité et la qualité des clous qu’il devait produire. Face à cette énigme, la réponse du bureau central fut la suivante : produisez en termes de tonnage et ne raisonnez plus en termes financiers. Inutile de dire que la variété de clous fut spartiate pour ne plus aboutir qu’à 2 ou 3 sortes dont la taille individuelle était impressionnante, la loi du moindre effort prévalant. En effet, un clou simple, vulgaire et de grande taille est plus facile à produire tant que le tonnage est respecté. Le hic, c’est que les consommateurs n’avaient pas besoin de tels clous qui, s’ils n’étaient pas vendus pour un usage direct, se négociaient quand même parfois pour être refondus et utilisés sous diverses formes dans l’économie souterraine. On se débrouillait comme on pouvait.
En 1939, lorsque Ludwig von Mises, en poste à Genève, apprit que tous les ouvrages et articles de sa bibliothèque dans son appartement de Vienne avaient été saisis par les nazis, il prit la fuite avec sa femme pour se rendre par bateau à New York où il enseigna et résida jusqu’à la fin de sa vie en 1973. Ces livres furent retrouvés en 1993 dans les archives de Moscou. Des directeurs d’usine sous l’ère soviétique avouèrent que les livres de Mises circulaient sous le manteau entre eux dans l’espoir de trouver la solution à leur problème de calcul économique.
Comment le bloc soviétique a-t-il pu se maintenir aussi longtemps (1917-1991) ? Eh bien, face à l’impossibilité du calcul économique, ces pays avaient pour politique d’exporter beaucoup et de commercer avec l’extérieur, notamment avec les économies capitalistes. Ceci permettait aux Soviétiques de collecter des prix de marché en direct des économies capitalistes qu’ils abhorraient. Des témoignages d’anciens agents du KGB nous révèlent que ces derniers avaient également pour mission de collecter des prix à l’Ouest. Il est amusant d’imaginer un espion se transformer en passeur de catalogues La Redoute et 3 Suisses… Quelle plus belle victoire pouvait-on espérer pour le capitalisme que la reconnaissance de sa supériorité dans les faits et les actes par ses détracteurs et opposants directs? Sans relations commerciales avec l’extérieur, l’Est se serait effondré bien plus rapidement.
En définitive, c’est soit le socialisme soit le capitalisme. Il n’y a pas de voie du milieu. L’économie mixte avec des moyens de production tantôt publics tantôt privés n’est que l’installation du socialisme par paliers. Le secteur public exerce toujours un effet d’éviction sur le privé. Il suffit de constater l’augmentation des prélèvements fiscaux et du budget de l’Etat rapporté au PIB sur les 40 dernières années dans nos économies occidentales. Le bloc soviétique ne s’est pas effondré sous la pression de l’Ouest. Il a implosé pour des raisons économiques en raison de l’impossibilité d’effectuer un calcul économique fiable visant à optimiser l’usage et l’allocation des ressources rares, faute de libre fixation des prix par l’offre et la demande, faute de propriété privée, incapable de satisfaire les besoins des consommateurs. Le socialisme n’est pas viable. Tout simplement.
(1) Luca Pacioli est reconnu comme le père de la comptabilité à double entrée. Voir son manuel « Summa de arithmetica, geometria, proportioni et proportionalita » publié en 1494.
Références bibliographiques:
- Economic Calculation in the Socialist Commonwealth, Ludwig von Mises, 1920.
- Socialism, Ludwig von Mises, Edition de 1932.
- Human Action, Ludwig von Mises, 1949.
Site: www.mises.org
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